Inventions ? Innovations ? brevets ?


Textes de Gérard WINTER.
Vice-Président de l’AAMAM
Ancien Chargé de mission à la Valorisation à l’Institut national de la propriété industrielle



REPORTAGE numéro :

1

date de l'évènement:

2023-10-15




     Nous vivons du lever au coucher dans un monde rempli de brevets d’invention : du téléphone portable au micro-ordinateur en passant par la cafetière, le réfrigérateur, le téléviseur…pour ne citer que ces objets-là, tous ont été brevetés et, davantage encore, leurs moindres perfectionnements sont constamment sujets à de nouveaux dépôts de brevets.

C’est bien sûr le cas de la machine à coudre inventée et brevetée en 1830 par Barthélémy Thimonnier qui en deux cents ans n’a cessé de se transformer d’innovations en innovations, de brevets en brevets…

Mais qu’est-ce qu’un brevet d’invention ?


La naissance du brevet d’invention français

Le brevet d’invention est un titre de propriété industrielle qui confère à son titulaire un monopole temporaire d’exploitation industrielle et commerciale de son invention ainsi que sa protection juridique, notamment à l’encontre des contrefaçons, en échange de sa publication.
L’octroi de monopoles n’est pas une disposition récente, puisqu’au Vè siècle avant J-C, la cité grecque de Sybaris en accordait alors aux cuisiniers qui mettaient leur génie au service de nouvelles recettes. En 1331, en Angleterre, le roi Edouard III délivrait des lettres patentes aux tisserands flamands afin d’attirer ceux-ci en les protégeant des corporations de tisserands anglais. A Florence, l’inventeur Filippo Brunelleschi se fit octroyer le premier monopole connu pour une invention destinée à la fabrication d’une péniche équipée d’un système de levage spécial et servant au transport du marbre. Enfin, la toute première loi sur les brevets fut promulguée en 1474 par la république de Venise. En France, ce sont des lois révolutionnaires de 1791 qui, en supprimant les « privilèges exclusifs » de l’Ancien Régime, ont donné naissance au brevet français. Ainsi fut reconnu pour la première fois le droit des inventeurs à la protection de leurs découvertes et inventions. En effet sous l’Ancien Régime existait un système de privilèges sous la forme de lettres patentes. Celles-ci étaient octroyées par le Roi aux inventeurs après arrêt du Conseil d’État. En 1791, le projet du Chevalier de Boufflers devait déboucher sur la loi du 7 janvier 1791 » relative aux Découvertes utiles, & aux moyens d’en assurer la propriété à ceux qui seront reconnus en être les Auteurs », complétée par la loi portant son règlement du 25 mai.


Illustration de la loi

La teneur de la loi était clairement énoncée dans le prologue : » L’Assemblée nationale, considérant que toute idée nouvelle, dont la manifestation ou le développement peut devenir utile à la société, appartient primitivement à celui qui l’a conçue, & que ce serait attaquer les droits de l’homme dans leur essence, que de ne pas regarder une découverte industrielle comme la propriété de son auteur ; considérant en même temps combien le défaut d’une déclaration positive & authentique de cette vérité peut avoir contribué, jusqu’à présent, à décourager l’industrie française, en occasionnant l’émigration de plusieurs artistes distingués, & en faisant passer à l’étranger un grand nombre d’inventions nouvelles, dont cet Empire aurait dû tirer les premiers avantages ; considérant enfin que tous les principes de justice, d’ordre public & d’intérêt national, lui commandent impérieusement de fixer désormais l’opinion des Citoyens français sur ce genre de propriété, par une loi qui la consacre & la protège… »

Dans son article 1er « portant Règlement sur la propriété des Auteurs d’inventions & Découvertes en tout genre d’industrie » il est précisé : « Il sera délivré sur simple requête au Roi & sans examen préalable, des Patentes nationales sous la dénomination de Brevets d’invention à toutes personnes qui voudront exécuter ou faire exécuter dans le royaume des objets d’industrie jusqu’alors inconnus. »


Une loi exemplaire

La loi française sur les brevets d’invention ne fut pas la première dans le monde, la loi anglaise datant de 1623 (Statut of Monopolies), et la loi américaine de 1790. Elle était cependant claire et surtout avant-gardiste (exigence de plans, coupes, dessins s’y rattachant, de l’unité d’invention et de la publication de la description, des additions apportées à la demande d’origine), tant et si bien qu’elle servit d’exemple à d’autres nations : la Russie et la Prusse en 1812, les Pays-Bas en 1817, l’Autriche en 1820, la Suède en 1834, le Portugal en 1837.

Elle répondait aussi à la préoccupation du législateur de stimuler un système économique favorisant l’intérêt national et encourageant « l’esprit d’invention » et « l’industrie des inventeurs » en octroyant aux inventeurs un véritable statut.

D’ailleurs, le Chevalier de Boufflers n’avait-il pas dit dans un discours prononcé à l’ Assemblée nationale : » Appelez le Génie inventif dans un pays et vous y appelez la Prospérité » et d’ajouter » N’en doutez point, de quelque pays que soit l’inventeur, il portera ses inventions où elles seront le mieux accueillies, car le génie de sa nature est cosmopolite ; le bien le plus précieux d’un inventeur est facile à transporter, ce sont ses idées ; tous les pays lui sont égaux : c ‘est à la politique à l’attirer et à lui faire adopter une patrie. »

L’esprit d’invention et ses enjeux

Les lois sur les brevets au XIX e siècle avaient un dénominateur commun : promouvoir l’industrie en stimulant « l’esprit d’invention »

Aujourd’hui presque tous les pays du monde ont une législation en matière de brevets d’invention. « L’information brevets » représente plusieurs dizaines de millions de documents qui contiennent à eux seuls pratiquement 80% de l’information scientifique et technique mondiale.

Bien entendu, si autant de brevets sont déposés dans le monde c’est que les enjeux industriels et financiers sont colossaux. En 2022, près de 15.000 demandes de brevets ont été déposées à l’institut national de la propriété industrielle, et selon les chiffres dévoilés par l’Office Mondial de la Propriété Intellectuelle le nombre dépôts de brevets déposés dans le monde s’est élevé à 4,4 millions. Le brevet est en effet une formidable arme stratégique au service des entreprises et un puissant vecteur de pénétration des marchés et de transfert de technologies entre les nations.


De l’idée à l’invention, le parcours de l’inventeur

L’homme est, par nature, inventif. Aussi, chacun d’entre nous pourrait être tenté un jour de déposer un brevet. Il est alors utile de savoir qu’une idée n’est pas brevetable, que toutes les inventions ne sont pas forcément brevetables. Enfin, que peu de brevets sont rémunérateurs, et donc que peu d’inventeurs font fortune !

Mais il n’est pas interdit de rêver, c’est ce que les très nombreuses inventions brevetées du Musée des arts et métiers nous révèlent, tant elles sont à l’enseigne du génie inventif. Et c’est bien le message que nous souhaitons délivrer dans cette nouvelle rubrique du site des Amis du Musée des arts et métiers ; et en attendant de vous révéler d’autres inventions et d’autres inventeurs du Musée, et en avant première nous entendons tirer un coup de chapeau à Barthélémy Thimonnier !

Les brevets: transcription de l'imagination


Dossier
numéro :
1


date du dossier:
2023-10-15


Inventions ? Innovations ? brevets ?


Textes de Gérard WINTER.
Vice-Président de l’AAMAM
Ancien Chargé de mission à la Valorisation à l’Institut national de la propriété industrielle






     Nous vivons du lever au coucher dans un monde rempli de brevets d’invention : du téléphone portable au micro-ordinateur en passant par la cafetière, le réfrigérateur, le téléviseur…pour ne citer que ces objets-là, tous ont été brevetés et, davantage encore, leurs moindres perfectionnements sont constamment sujets à de nouveaux dépôts de brevets.

C’est bien sûr le cas de la machine à coudre inventée et brevetée en 1830 par Barthélémy Thimonnier qui en deux cents ans n’a cessé de se transformer d’innovations en innovations, de brevets en brevets…

Mais qu’est-ce qu’un brevet d’invention ?

La naissance du brevet d’invention français

Le brevet d’invention est un titre de propriété industrielle qui confère à son titulaire un monopole temporaire d’exploitation industrielle et commerciale de son invention ainsi que sa protection juridique, notamment à l’encontre des contrefaçons, en échange de sa publication.
L’octroi de monopoles n’est pas une disposition récente, puisqu’au Vè siècle avant J-C, la cité grecque de Sybaris en accordait alors aux cuisiniers qui mettaient leur génie au service de nouvelles recettes. En 1331, en Angleterre, le roi Edouard III délivrait des lettres patentes aux tisserands flamands afin d’attirer ceux-ci en les protégeant des corporations de tisserands anglais. A Florence, l’inventeur Filippo Brunelleschi se fit octroyer le premier monopole connu pour une invention destinée à la fabrication d’une péniche équipée d’un système de levage spécial et servant au transport du marbre. Enfin, la toute première loi sur les brevets fut promulguée en 1474 par la république de Venise. En France, ce sont des lois révolutionnaires de 1791 qui, en supprimant les « privilèges exclusifs » de l’Ancien Régime, ont donné naissance au brevet français. Ainsi fut reconnu pour la première fois le droit des inventeurs à la protection de leurs découvertes et inventions. En effet sous l’Ancien Régime existait un système de privilèges sous la forme de lettres patentes. Celles-ci étaient octroyées par le Roi aux inventeurs après arrêt du Conseil d’État. En 1791, le projet du Chevalier de Boufflers devait déboucher sur la loi du 7 janvier 1791 » relative aux Découvertes utiles, & aux moyens d’en assurer la propriété à ceux qui seront reconnus en être les Auteurs », complétée par la loi portant son règlement du 25 mai.
Illustration de la loi

La teneur de la loi était clairement énoncée dans le prologue : » L’Assemblée nationale, considérant que toute idée nouvelle, dont la manifestation ou le développement peut devenir utile à la société, appartient primitivement à celui qui l’a conçue, & que ce serait attaquer les droits de l’homme dans leur essence, que de ne pas regarder une découverte industrielle comme la propriété de son auteur ; considérant en même temps combien le défaut d’une déclaration positive & authentique de cette vérité peut avoir contribué, jusqu’à présent, à décourager l’industrie française, en occasionnant l’émigration de plusieurs artistes distingués, & en faisant passer à l’étranger un grand nombre d’inventions nouvelles, dont cet Empire aurait dû tirer les premiers avantages ; considérant enfin que tous les principes de justice, d’ordre public & d’intérêt national, lui commandent impérieusement de fixer désormais l’opinion des Citoyens français sur ce genre de propriété, par une loi qui la consacre & la protège… »

Dans son article 1er « portant Règlement sur la propriété des Auteurs d’inventions & Découvertes en tout genre d’industrie » il est précisé : « Il sera délivré sur simple requête au Roi & sans examen préalable, des Patentes nationales sous la dénomination de Brevets d’invention à toutes personnes qui voudront exécuter ou faire exécuter dans le royaume des objets d’industrie jusqu’alors inconnus. »
Une loi exemplaire

La loi française sur les brevets d’invention ne fut pas la première dans le monde, la loi anglaise datant de 1623 (Statut of Monopolies), et la loi américaine de 1790. Elle était cependant claire et surtout avant-gardiste (exigence de plans, coupes, dessins s’y rattachant, de l’unité d’invention et de la publication de la description, des additions apportées à la demande d’origine), tant et si bien qu’elle servit d’exemple à d’autres nations : la Russie et la Prusse en 1812, les Pays-Bas en 1817, l’Autriche en 1820, la Suède en 1834, le Portugal en 1837.

Elle répondait aussi à la préoccupation du législateur de stimuler un système économique favorisant l’intérêt national et encourageant « l’esprit d’invention » et « l’industrie des inventeurs » en octroyant aux inventeurs un véritable statut.

D’ailleurs, le Chevalier de Boufflers n’avait-il pas dit dans un discours prononcé à l’ Assemblée nationale : » Appelez le Génie inventif dans un pays et vous y appelez la Prospérité » et d’ajouter » N’en doutez point, de quelque pays que soit l’inventeur, il portera ses inventions où elles seront le mieux accueillies, car le génie de sa nature est cosmopolite ; le bien le plus précieux d’un inventeur est facile à transporter, ce sont ses idées ; tous les pays lui sont égaux : c ‘est à la politique à l’attirer et à lui faire adopter une patrie. »
L’esprit d’invention et ses enjeux

Les lois sur les brevets au XIX e siècle avaient un dénominateur commun : promouvoir l’industrie en stimulant « l’esprit d’invention »

Aujourd’hui presque tous les pays du monde ont une législation en matière de brevets d’invention. « L’information brevets » représente plusieurs dizaines de millions de documents qui contiennent à eux seuls pratiquement 80% de l’information scientifique et technique mondiale.

Bien entendu, si autant de brevets sont déposés dans le monde c’est que les enjeux industriels et financiers sont colossaux. En 2022, près de 15.000 demandes de brevets ont été déposées à l’institut national de la propriété industrielle, et selon les chiffres dévoilés par l’Office Mondial de la Propriété Intellectuelle le nombre dépôts de brevets déposés dans le monde s’est élevé à 4,4 millions. Le brevet est en effet une formidable arme stratégique au service des entreprises et un puissant vecteur de pénétration des marchés et de transfert de technologies entre les nations.
De l’idée à l’invention, le parcours de l’inventeur

L’homme est, par nature, inventif. Aussi, chacun d’entre nous pourrait être tenté un jour de déposer un brevet. Il est alors utile de savoir qu’une idée n’est pas brevetable, que toutes les inventions ne sont pas forcément brevetables. Enfin, que peu de brevets sont rémunérateurs, et donc que peu d’inventeurs font fortune !

Mais il n’est pas interdit de rêver, c’est ce que les très nombreuses inventions brevetées du Musée des arts et métiers nous révèlent, tant elles sont à l’enseigne du génie inventif. Et c’est bien le message que nous souhaitons délivrer dans cette nouvelle rubrique du site des Amis du Musée des arts et métiers ; et en attendant de vous révéler d’autres inventions et d’autres inventeurs du Musée, et en avant première nous entendons tirer un coup de chapeau à Barthélémy Thimonnier !